We wouldn’t hesitate to send to him anytime we needed a recipe for sauce gribiche or pineapple salad for fancy dinners we didn’t invite him to, not thinking him prestigious enough company to be useful to acquaintances visiting for the first time. If the conversation turned to the princes of the House of France: “People we’ll never know, and you’ll never know, and we don’t need them, do we,” said my great aunt to Swann, who’d perhaps have in his pocket a letter from Twickenham; she’d make him wheel out the piano and turn the pages on evenings when my grandmother’s sister sang, treating this being, elsewhere so sought-after, with the naive roughness of a child who handles a fine collectible no more carefully than an object from a dime store. No doubt the Swann who knew so many clubmen back then was quite different from the one my great aunt conjured at night in the little garden at Combray, after the bell’s two hesitant rings, when she’d inject and enliven, with everything she knew about the family of Swann, the dim and hazy figure whom we recognized by voice, and who emerged, trailed by my grandmother, against a backdrop of darkness. For even when it comes to the most insignificant things in life, we are not materially constituted wholes, identical for everyone, something others need only take note of, as with a list of specifications or a will and testament; our social personalities are the creations of the thoughts of others. Even the quite simple act we call “seeing someone we know” is in part an intellectual one. We fill in, with all our notions, the physical appearance of the being we behold, and these notions certainly form the greater part of our total inner representation of him. Our notions end up puffing out the cheeks so perfectly, following so faithfully the line of the nose, they blend so well to color the sound of the voice as if it were only a transparent envelope, so each time we see this face and hear this voice, it’s these notions that we rediscover, that we hear. In the Swann they formed within themselves, my family no doubt failed, out of ignorance, to include a host of particulars of his worldly life that would cause other people in his presence to see elegance reign across his face and halt at his hooked nose as if at a natural border; yet my family could build up in that visage, vacant and spacious, estranged from its prestige, and within those devalued eyes the sweet, vague residue—half memory, half oblivion—of idle hours together after weekly dinners, around the game table or in the garden, in our times spent as good country neighbors. The bodily envelope of our friend had been so well stuffed, including with some related memories of his parents, that this Swann of ours would become a complete and living being, so that it seems to me I depart from one person and move toward another, distinct from him, when in my memory I switch from the Swann I knew later, with accuracy, to this first Swann—this first Swann in whom I rediscover the charming mistakes of my youth, and who actually seems less like the second Swann and more like other people I knew back in the same era, as if Swann were part of our lives but also part of a museum, where all the portraits from a certain period possess a sense of family, a similar tonality; this first Swann full of leisure, perfumed with the scents of the big chestnut tree, baskets of raspberries, and a sprig of tarragon.
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On ne se gênait guère pour l’envoyer quérir dès qu’on avait besoin d’une recette de sauce gribiche ou de salade à l’ananas pour des grands dîners où on ne l’invitait pas, ne lui trouvant pas un prestige suffisant pour qu’on pût le servir à des étrangers qui venaient pour la première fois. Si la conversation tombait sur les princes de la Maison de France: «des gens que nous ne connaîtrons jamais ni vous ni moi et nous nous en passons, n’est-ce pas», disait ma grand’tante à Swann qui avait peut-être dans sa poche une lettre de Twickenham; elle lui faisait pousser le piano et tourner les pages les soirs où la sœur de ma grand’mère chantait, ayant pour manier cet être ailleurs si recherché, la naïve brusquerie d’un enfant qui joue avec un bibelot de collection sans plus de précautions qu’avec un objet bon marché. Sans doute le Swann que connurent à la même époque tant de clubmen était bien différent de celui que créait ma grand’tante, quand le soir, dans le petit jardin de Combray, après qu’avaient retenti les deux coups hésitants de la clochette, elle injectait et vivifiait de tout ce qu’elle savait sur la famille Swann, l’obscur et incertain personnage qui se détachait, suivi de ma grand’mère, sur un fond de ténèbres, et qu’on reconnaissait à la voix. Mais même au point de vue des plus insignifiantes choses de la vie, nous ne sommes pas un tout matériellement constitué, identique pour tout le monde et dont chacun n’a qu’à aller prendre connaissance comme d’un cahier des charges ou d’un testament; notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres. Même l’acte si simple que nous appelons «voir une personne que nous connaissons» est en partie un acte intellectuel. Nous remplissons l’apparence physique de l’être que nous voyons, de toutes les notions que nous avons sur lui et dans l’aspect total que nous nous représentons, ces notions ont certainement la plus grande part. Elles finissent par gonfler si parfaitement les joues, par suivre en une adhérence si exacte la ligne du nez, elles se mêlent si bien de nuancer la sonorité de la voix comme si celle-ci n’était qu’une transparente enveloppe, que chaque fois que nous voyons ce visage et que nous entendons cette voix, ce sont ces notions que nous retrouvons, que nous écoutons. Sans doute, dans le Swann qu’ils s’étaient constitué, mes parents avaient omis par ignorance de faire entrer une foule de particularités de sa vie mondaine qui étaient cause que d’autres personnes, quand elles étaient en sa présence, voyaient les élégances régner dans son visage et s’arrêter à son nez busqué comme à leur frontière naturelle; mais aussi ils avaient pu entasser dans ce visage désaffecté de son prestige, vacant et spacieux, au fond de ces yeux dépréciés, le vague et doux résidu,—mi-mémoire, mi-oubli,—des heures oisives passées ensemble après nos dîners hebdomadaires, autour de la table de jeu ou au jardin, durant notre vie de bon voisinage campagnard. L’enveloppe corporelle de notre ami en avait été si bien bourrée, ainsi que de quelques souvenirs relatifs à ses parents, que ce Swann-là était devenu un être complet et vivant, et que j’ai l’impression de quitter une personne pour aller vers une autre qui en est distincte, quand, dans ma mémoire, du Swann que j’ai connu plus tard avec exactitude je passe à ce premier Swann,—à ce premier Swann dans lequel je retrouve les erreurs charmantes de ma jeunesse, et qui d’ailleurs ressemble moins à l’autre qu’aux personnes que j’ai connues à la même époque, comme s’il en était de notre vie ainsi que d’un musée où tous les portraits d’un même temps ont un air de famille, une même tonalité—à ce premier Swann rempli de loisir, parfumé par l’odeur du grand marronnier, des paniers de framboises et d’un brin d’estragon.
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N o t e s
Sauce gribiche. Literally “bad woman sauce,” made from egg yolk and mustard.
Twickenham. The implication is that Swann was receiving mail from someone connected to the family of Louis Philippe, former King of the French, who had once lived in exile in Twickenham.